Bulletin n°24

Ornette Coleman : Abrégé Harmolodique

Fragments et propos choisis, traduits par Martin Richet à l’occasion de la parution du somptueux poème de Norma Cole intitulé « Harmolodiques », trad. Martin Richet dans K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. 18, janvier 2020.

Dans mon concept musical, il n’y a pas seulement une décharge de la sensation du ton sur les nerfs mais une libération de la raison même d’employer le ton, qui est la logique de porter les idées à un unisson individuel ou collectif (le terme « unisson » renvoie au son de notre propre voix). Pour ceux qui s’intéressent à une façon ou à la façon de chercher leur propre ordre d’unisson, voici évoqué un groupe qui emploie un tel concept – ce concept ayant pour nom l’Harmolodie.

Qu’est-ce que l’Harmolodie ? L’Harmolodie est l’emploi du physique et du mental de notre logique propre rendue expression du son pour faire advenir la sensation musicale de l’unisson exécutée par une seule personne ou avec un groupe. Harmonie, mélodie, vitesse, rythme, temps et phrasé occupent tous une position d’égalité dans les résultats qui proviennent du placement et de l’espacement des idées. C’est là le mobile et l’action de l’Harmolodie.

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De toutes les inventions d’instruments de musique au XXe siècle, ceux qui représentent le plus grand défi aujourd’hui sont la guitare électrique, la basse électrique et la batterie. La plupart des musiciens qui jouent de ces instruments, et ils sont innombrables, ne s’attachent qu’à leur expression personnelle libre de concept ou de style. Normalement, ils servent un rôle de soutien distinct du concept jazz ou classique, etc. Quand j’ai commencé à former un groupe Harmolodique, j’ai fait passer une audition à un jeune garçon qui ne lisait et n’écrivait pas la musique et qui jouait de la basse (électrique). Je lui ai demandé de jouer ce qu’il voulait. Quand il s’est lancé, je l’ai accompagné et quand il s’est arrêté, j’ai pensé que je l’embaucherais et que je lui apprendrais l’Harmolodie. Il m’a dit ne pas vouloir jouer le type de musique que nous avions jouée alors même que j’avais joué avec lui (belle illustration de l’intérêt personnel). Cette expérience a confirmé ma croyance en l’Harmolodie. Question : « Où puis-je/vais-je trouver un musicien qui sache lire (ou ne pas lire), qui sache jouer son instrument à sa propre satisfaction et qui puisse accepter le défi de l’environnement musical ? » Pour une Démocratie Harmolodique, le musicien a besoin de la liberté d’exprimer l’information Harmolodique qu’il trouve fonctionner dans la musique composée. Il y a toujours une notion rythme – mélodie – harmonie. Toutes les idées ont des résolutions solistes. Chaque musicien est libre de choisir son rapport à l’œuvre du compositeur pour son expression personnelle, etc. Prime Time n’est pas un ensemble de jazz, de classique, de rock ou de blues. C’est une pure Harmolodie où toutes les formes qui peuvent ou pouvaient coexister hier, aujourd’hui ou demain peuvent exister maintenant ou dans le moment sans seconde.

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L’existence aujourd’hui est celle de la plus évoluée des civilisations pour ce qui concerne les cent vingt-deux visages qu’on appelle une race. Dans le monde du langage, on ne connaît pas de mot qui ait le même sens dans toutes les langues. Pourtant, le son sous la forme de la musique n’a pas à se transformer pour se faire l’égal d’un son déjà existant, qui que soit celui qui ait pu le produire. C’est la preuve que nous sommes tous égaux dans l’expression musicale. La musique n’est pas un style. La musique est une expression.
La musique est souvent l’esclave du style. D’innombrables critiques, auteurs, interprètes, compositeurs, chefs d’orchestre et producteurs produisent un art des styles pour parfaire leur idée d’un style qui puisse être lu, vu et entendu comme moyen de punir le libre arbitre. On aboutit alors au succès de l’idée de répétition comme style. Aucun style ne procède de la répétition par libre arbitre.

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n° 24

LECTURE, Note, PARUTIONs

Note

Nous avons relu lentement – passionnément – les cahiers publiés d’une main de maître par Bénédicte Vilgrain au Théâtre Typographique entre 2017 et 2019, à savoir : Edwin Denby : The Climate suivi de First Warm Days avec douze traducteurs ; Erik Lindner : Un Autostoppeur et son accident traduit du néerlandais par Bénédicte Vilgrain ; Pascal Poyet : « Regardez, je peux faire aller Wittgenstein exactement où je veux » ; Laurent Cassagnau : Oskar Pastior, « Le Projet Pétrarque » ; Ulf Stolterfoht : Lexique des supersitions allemandes intraduction de l’allemand par Bénédicte Vilgrain ; Alain Cressan : Degrés : 114 sur 365 ; auxquels on ajoutera le très beau livre de Mia Brion : l’a la le, paru au Théâtre Typographique en décembre 2018. 

Parutions

Senna Hoy, une revue de poésie en anglais et en français, publiée par Luc Bénazet et Jackqueline Frost, n°1 à 4, décembre 2019-septembre 2020.

Franck Leibovici : des opérations d’écriture qui ne disent pas leur nom, Questions théoriques « Forbidden beach », janvier 2020.

Le Journal des Laboratoires / Mosaïque des Lexiques F, G, H, I, J (sous la direction éditoriale de Pascal Poyet), Les Laboratoires d’Aubervilliers, juin 2020.

Rainer Maria Rilke : Sonnets à Orphée –livre second–, restitution de Roger Lewinter, Editions Journaud, août 2020.

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