Samuel Rochery

Né en 1976, Samuel Rochery est l’auteur d’une dizaine de livres publiés en France et au Québec. Revuiste, il est notamment l’éditeur des Cahiers de Benjy (2005−2013), de la revue Georges et de Watts revue de poésie en ligne sous économie d’énergie.
Oxbow‑p., son premier livre en prose, a paru en 2008.
En janvier 2014 paraît Now sports dans la collection agrafée, bref essai sur le sport de combat, dérivé aussi bien thématiquement que biographiquement d’Oxbow‑p.

*

Comme le suggérait 7 × 2 passantes – dont le titre empruntait à un poème des Fleurs du mal –, l’écriture de Samuel Rochery se situe dans un héritage baudelairien assumé. Cet héritage trouve dans Oxbow‑p. à s’approfondir, et peut-être par là même à se dépasser. La recherche y est en effet celle d’une « prose spéciale », qui serait à la poésie actuelle ce que fut, à la poésie de son temps, le Spleen de Paris. Ainsi reconnaîtra-t-on, dans Oxbow‑p., un effort homologue à celui de Baudelaire pour annexer à la poésie la réalité la plus prosaïque(conversations sms, jeux vidéo, « navets cinématographiques américains », albums rock, ville en chantier) en vue de déployer les ressources d’un lyrisme moderne et créer un phrasé adéquat, parce qu’en adhérence, au monde contemporain.

Or si Baudelaire – et plus particulièrement dans Oxbow‑p. : le Peintre de la vie moderne, le Mauvais Vitrier ou le Désir de peindre – figure bien la référence à partir de laquelle le livre de Samuel Rochery une nouvelle fois s’inscrit ; ce qui distingue Oxbow‑p. du modèle du « poème en prose » baudelairien est incontestablement l’appel à et l’appui sur une multiplicité ostensible de références livresques. Le poème en prose rocheryien s’entrelace d’une méditation sur la lecture, par quoi le texte accède à une forme d »« érudition sentie ». Et l’intrusion de cette dimension didactique dans l’écriture permet à l’auteur d’annexer une nouvelle modalité littéraire au poème en prose : celle de l’essai.

Infléchi par une référence à Robert Musil en exergue du livre, Oxbow‑p.s’apparentera de la sorte, plutôt qu’à de « petits poèmes en prose », à des poèmes essayistes. Essayistes, car il ne s’agit jamais d’un recours illustratif ou ornemental à l’érudition littéraire, mais bien de penser avec les livres, de penser à partir d’eux, jusqu’à voir une pensée naître des mondes littéraires eux-mêmes – et des personnages fictifs y prendre la parole. Poèmes, selon une modalité fabricante et « cuisinière » du terme, qui découvrent l’auteur en train de modeler, d’articuler la matière organique d’une pensée toujours en cours, d’élaborer une langue vivante parlée ou encore, selon une image importante du livre : « faire des gâteaux d’inquiétude ».

Pour le dire avec les mots de l’auteur : « Si le désir de prose est désir d’une plage sans rythme et sans rime, on n’a aucune raison de rêver le désir. Le bon désir est pousseur et le manque est inventif. Il risque un certain nombre de pelletées. En réalité “Prose” est le nom d’une exception au désir littéraire qui voudrait que tout aille facilement dans la grammaire. Sans coudes. Et “parle”. Oxbow est une plage de coudes. Ou bien, un ensemble d’objets philosophiques fabriqués à l’envers de la philosophie. Un ensemble poétique. Les mots sont responsables de leur abstraction comme ils le sont des coups de poing, des parpaings serrés, et des flèches. C’est dire ceci, autrement : que tu n’abstrais qu’à la mesure de ce que tu fabriques de concret dans la parole, ou dans l’essai, au double sens essayiste et préparatoire, qu’est une pensée parlée. » (4° de couverture d’Oxbow‑p.)

Plage de coudes, Oxbow‑p. désigne le lieu d’élaboration d’une pensée où, littéralement, rien n’ira sans dire.

Lecture en ligne par Samuel Rochery :
Bulletin n°04 (à propos de Notable American Women de Ben Marcus).

Chez d’autres éditeurs :

Dernière mise à jour 2012
 Livres
  • Verrière du mécano transportable, Prix de la vocation, Cheyne 2002
  • 7 × 2 passantes, Mix., 2005
  • Les reduplications, Mix., 2006
  • Faire des gâteaux d’inquiétude, Contre-Pied, 2006
  • Tubes apostilles, Le Quartanier, 2007
  • Odes du Studio Maida Vale, Le Quartanier 2009
  • Mattel, ou Dans la vie des jouets de la Cie de John Mattel, il y avait des hommes et des femmes, Le Quartanier, 2012

De l’essai,
selon Robert Musil

« Pour moi, le mot “essai” évoque ceux d’éthique et d’esthétique.
« Il est censé venir de “risque” (?), les érudits ne l’emploient généralement que pour désigner les ramifications secondaires et plus frivoles de leur œuvre principale ; on le traduit aussi par Versuch (= tentative). Dans cette dernière acception, mais en lui donnant un autre contenu, je puis moi aussi l’employer.
« L’essai est-il : dans un domaine où le travail exact est possible, quelque chose qui suppose du relâché, ou le comble de la rigueur accessible dans un domaine où le travail exact est impossible ?
« Je cherche à prouver la deuxième proposition.
« Description dudit domaine : il a sur un de ses côtés le domaine du savoir, de la science. Sur l’autre, le domaine de la vie et de l’art. On ne peut d’abord préciser davantage. Il nous faut donc commencer par nous demander comment on délimite le domaine de la science. Dire qu’il élimine totalement la subjectivité n’est pas le plus indiqué pour nous. Totalement est trop dire. Car il subsiste une subjectivité froide, rationnelle ; et il y a des facteurs arbitraires et contingents. Nous dirons donc mieux : ses résultats sont objectifs. Il est soumis au critère de la vérité. C’est un critère objectif, inhérent à la nature même de ce domaine. Il existe des vérités mathématiques et des vérités logiques. Il existe des faits et des enchaînements de faits universellement valables. Qui relèvent d’une loi ou d’un système. Qui, dans les deux cas – et c’est l’exigence minimum que nous leur imposons – permettent l’établissement d’un ordre intellectuel très large.
« Et il y a des domaines qui ne le permettent pas. Que l’on détache des œuvres littéraires les personnages que la magie des auteurs y a fait vivre, et que l’on essaie d’appliquer à leur société les lois morales de la nôtre, on s’apercevra que chaque individu du livre est fait de plusieurs individus, qu’il est inconséquent, que ses actes échappent à la causalité : en bref, qu’il est impossible d’organiser ou d’intégrer d’aucune façon les forces morales qui le meuvent. On ne peut lui indiquer d’autre voie à suivre que celle, toute contingente, de l’intrigue. (…)
« L’essai a sa place entre les deux domaines. De la science, il a la forme et la méthode. De l’art, la matière. Il cherche à créer un ordre. Il ne fournit pas de personnages, mais un enchaînement de pensées, donc un raisonnement logique et, comme les sciences de la nature, il part des faits qu’il met en relation. Simplement, ces faits ne se prêtent pas à une observation généralisée, et leur enchaînement est lui aussi, dans nombre de cas, d’ordre singulier. Il ne fournit pas de solutions globales, seulement une série de solutions particulières. Mais il témoigne et il enquête. »