Mon antérieur visage
« seul reste le brin d’herbe d’une bouche jeté en avant »
Depuis 2012 et la parution de Nu compris aux éditions Nous, Pauline von Aesch – lectrice de « L’Action restreinte » de Mallarmé – a été extrêmement discrète. Nous avons toutefois publié, au fil des années, quelques poèmes dans la revue K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. dirigée par Jean Daive : dans les numéros 2 (2013), 4 (2014) et 19 (2020). Singulièrement, la publication dans K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. 19 intitulée « Mesure du non-être » est un état préparatoire du premier chapitre, éponyme, de Mon antérieur visage.
La publication de ce livre s’inscrit dans une série qui se caractérise par son format quasi carré (17 x 21 cm) : Le vers « funambule » de Pauline von Aesch dans Mon antérieur visage rejoint ainsi le vers long, voire très long de Victoria Xardel dans Méthode ; le vers s’acheminant vers la prose de Marie de Quatrebarbes dans Gommage de tête ; le vers perforant les paragraphes de Marie-louise Chapelle dans Tu (maniériste), et le vers interrompu, selon une véritable dramaturgie de la coupe, que Bernard Dubourg met en place à l’occasion de sa traduction du premier livre de J.H. Prynne : Poèmes de cuisine.
Nous nommons « funambule » le vers de Pauline von Aesch dans Mon antérieur visage : celui-ci se caractérise par l’équilibre qu’il invente en son suspens, dépourvu de majuscule et de ponctuation finale – peut-être à l’image de cette lettre « –e » qui se détache, dans sa solitude, à plusieurs reprises dans le livre. Sténogramme de Mon antérieur visage, « –e » est un suffixe qui n’existe en principe que relativement au mot lexical qu’il modifie, féminise ou accorde. Le livre et le vers serait à l’image de cette apparition muette, de ce suspens du « –e » dont le support lexical a disparu.
A cet égard, le livre de Pauline Von Aesch, Mon antérieur visage, forme une proposition forte, tout à fait singulière sur la question du vers : plaçant au centre de sa pratique le « e muet » dont on connaît l’importance métrique dans la prosodie du français, non moins que son importance dans les débats sur le genre aujourd’hui. Mais cette place centrale faite au « e muet » n’est pas l’objet d’un manifeste fracassant ; fidèle à l’action restreinte, Pauline von Aesch ne promettra d’existence à ce « e muet » que dans et par la possibilité de son amuïssement. Pour le dire avec le philosophe et critique d’art René Denizot cité en exergue de Mon antérieur visage : « L’effacement n’efface rien. C’est pourquoi il ne laisse pas de trace. »
« Mesure du non-être », premier chapitre du livre, met en tension de déprise, dans une langue relativement abstraite, le double-sens du mot identité : à la fois ce qui singularise un individu (le visage, le nom propre) et ce qui motive une ressemblance entre deux éléments (le « même »). Le rapport d’une énonciation (je) à cette double déprise s’effectue à travers le poème qui en est le résultat : « je suis le résultat, la suite ou l’accident » (p. 27). Le jeu est à qui perd gagne. « l’effacement et la révélation nous éclairent selon deux principes / mais leur ombre se couche dans le même lit / infime – ce pont de nulle part » (p. 41).
« Le cycle noir » (« le cycle noir de la parole » p. 33) est le moment théorique du livre, et un lieu d’équilibre pour des propositions de langage paradoxales : « nous parlons sans cesser et sans parler nous cessons » « par compassion pour l’imprononçable, je devrais ne plus jamais parler » « existe-t-il autre chose derrière le rien dont on n’ait définitivement rien à dire », où affleurent la possibilité et le risque de l’amuïssement.
« Exister en cercle » est davantage concret, et conclut la trajectoire du livre dans une écriture raréfiée, qui corrobore l’expérience du dénuement qui est narrée en pointillé. Ce chapitre évoque un « vivre » organisé autour de la maison et du cycle des saisons : « la vie telle que j’aurais voulu qu’elle fût ».

2025
17 x 21 cm , 96 p., 18 €
isbn : 978−2−917786−98−7
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Mon antérieur visage
de Pauline von Aesch
2025
17 x 21 cm , 96 pages
isbn : 978−2−917786−98−7 -
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. 19
novembre 2020
15,5 x 24 cm, 24 pages
isbn : 978−2−917786−66−6 -
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. 4
mars 2014
15,5 x 24 cm, 20 pages
isbn : 978−2−917786−23−9 -
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. 2
juin 2013
15,5 x 24 cm, 20 pages
isbn : 978−2−917786−19−2