Au pollen

Dans le premier numéro de la revue Ligne 13 (printemps 2010), éditée par Francis Cohen et Sébastien Smirou, Abigail Lang a publié une première traduction des quatre premières strophes de To Pollen – traduction suivie d’un commentaire que nous reproduisons ci-dessous.
Abigail Lang a également prépublié la traduction des sept dernières strophes de To Pollen précédé d’un nouveau et important commentaire dans le numéro 12 de la revue Écrire l’histoire (décembre 2013), consultable en ligne à cette adresse https://​journals​.openedition​.org/​e​l​h​/​3​4​5​?​l​a​n​g​=en

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Ces treizains sont une traduction des quatre premiers poèmes d’une séquence qui en compte vingt-deux : To Pollen, l’avant-dernier livre de J. H. Prynne, paru chez Barque Press en 2006.

Let my eyes see the sun and be sated with light.
The darkness is hidden, how much light is there left ?
            When may the dead see the rays of the sun ?

(Gilgamesh, Sippar i 13′-15′)

La première des deux épigraphes à To Pollen cite la plus ancienne épopée, celle du grand roi qui ne voulait pas mourir, « être retransformé en argile » comme le dit le récit consigné dans une écriture cunéiforme sur tablettes d’argile. Dès son invention, l’écriture est liée à la mort. Dès son invention, l’écriture est liée au pouvoir politique, à l’affirmation de l’autorité étatique. Des fragments disloqués de discours d’autorité émaillent To Pollen : jargon militaire et financier, pathos de la presse, vocabulaire scientifique.

Le passage de l’épopée que cite Prynne proviendrait d’un fragment de tablette retrouvée à Sippar, à quelques vingt kilomètres de l’actuelle Bagdad. To Pollen récuse l’idée d’un thème ou d’un sujet, mais ce qui tonne tout au long de la séquence et en constitue le contexte, c’est bien la guerre d’Irak et ses répercussions lointaines. On décèle des références à Doha, capitale du Qatar et cadre de plusieurs conférences sur la libéralisation du commerce international, aux combinaisons orange de Guantanamo, ou encore à une bavure commise à Forest Gate par la police britannique au nom de la guerre contre le terrorisme. Comme dans l’épopée de Gilgamesh, la mort suscite la révolte et l’élégie.

« Une façon de bloc (venu) du Ciel » (Bottéro, p. 79), ainsi Gilgamesh rêve-t-il Enkidu avant leur rencontre. La formule évoque aussi l’opacité et la densité des poèmes de To Pollen qui déjouent toute appropriation. A chaque lecture des éclats de sens affleurent, clignent puis se redéposent sans qu’on puisse les saisir. La haute valence des éléments sémantiques et les constantes bifurcations syntaxiques démantèlent tout contexte local et rendent l’attribution des catégories grammaticales hasardeuse. À l’échelle du livre, on décèle plusieurs champs intriqués : guerre, finance, géologie, biologie, et le leitmotiv de l’inscription.

Dans le texte d’une des conférences qu’il a récemment adressées à ses traducteurs et lecteurs chinois, Prynne explique que « la difficulté » est un moyen d’atteindre la pensée poétique, définie comme une énergie dialectique qui vibre sur la page et dans l’esprit du lecteur et dont les limites sont sans cesse à repousser et à renouveler. L’art de Prynne est d’exploiter la puissance propre à la langue lorsqu’elle est mise sous pression par de nouveaux usages.

« L’extrême densité de l’irrésolu, qui maintient la langue à un haut niveau d’énergie dans son mouvement poétique, sa vibration furtive, peut bien ressembler à l’absence de clarté, ce qu’elle est en partie […]. Dans cette matrice, la pensée n’est pas unitaire (contrairement aux idées) mais en conflit avec elle-même et intrinsèquement dialectique. » (Poetic Thought, Keynote Speech at the Second Pearl River International Poetry Conference, Guangzhou, P.R. China, 14th June 2008).