Notes sur le tragique prolétaire expérimental

« Le conflit de Zeus et de Prométhée offrait-il cependant matière à une véritable tragédie ? Il ne semble pas contenir le germe d’une action dramatique. Prométhée désobéit, Zeus le frappe : que peut faire ensuite le dieu puni, sinon gémir ? le dieu offensé, sinon détourner la tête ou frapper toujours plus fort ? Il n’y a pas là de lutte, il n’y a donc pas là de drame. Pour qu’il y ait lutte, il faut donner une arme à Prométhée : il pourra alors tenir tête à Zeus ; il pourra, même enchaîné sur son roc, être pour le roi des dieux un adversaire avec lequel on doit compter. »

Paul Mazon, notice introductive au Prométhée enchaîné d’Eschyle


Notes sur le tragique prolétaire expérimental
est un essai qui noue avec précision un geste politique et un geste poétique. Ce nouage se produit doublement : 1) par la thèse qui est soutenue dans le livre et 2) par le rapport que ce texte entretient avec le genre littéraire de la tragédie.

La thèse soutenue dans ces Notes établit un paradigme original, qui ouvrirait une séquence que nous aimerions qualifier de baroque insurrectionnel. Ce paradigme se construit sur la base d’une réinterprétation de l’expression « poète maudit », en faisant saillir le mal dire (étymologiquement : mau-dit) au sein de la malédiction sociale – un modèle de la langue maudite serait : « le juron dans la bouche du prolo ». Cette base permet de construire un rapport de classe nouveau : prolétaire expérimental versus intellectuel bourgeois. Ce rapport de classe – qui est aussi évidemment un rapport de force – s’envisage depuis la position du prolétaire expérimental, s’attachant notamment sous la forme revendiquée du sabotage à changer le sens du passé. Et si ce sabotage passe par le minage du sens de l’histoire dans sa linéarité : passé-présent-futur, c’est que cette linéarité conforte toujours l’origine de la classe dominante. Le terme « expérimental » annonce l’avènement d’un discours et d’une séquence politique nouvelle qui auront à inventer, par-delà la catastrophe des temps, leur propre origine ; ce que tente littéralement et à sa manière, Le troisième événement.

Or le nouage du politique et du poétique dans ces Notes se produit également à un second niveau, relatif à la tragédie en tant que genre littéraire : motif qui sert de soubassement à la plupart des développements ici réunis. Cette perspective de lecture permettrait de considérer ces Notes en elles-mêmes comme une forme nouvelle de tragédie, où l’imitation dramatique (mimèsis) cède ses prérogatives devant l’examen argumenté des « conditions de possibilité d’une vie humaine entièrement différente ».

À la faveur de cette analogie (la représentation est à la tragédie classique, « pré-moderne », ce que l’argumentation serait à la tragédie nouvelle, postmoderne) la lutte des classes peut devenir l’analogue du dilemme ou de tout autre ferment du drame classique ; et le héros tragique, le pronom « tu » qui surgit dans sa solitude à la toute fin du livre.

Notes sur le tragique prolétaire expérimental a été composé, imprimé et façonné à l’Annexe typographique en janvier 2024.