J’ai dormi dans votre réputation…

J’ai dormi dans votre réputation / Traduire mais les Sonnets de Shakespeare réunit douze textes dont dix ont été originellement adressés au public des Laboratoires d’Aubervilliers où l’auteur a été accueilli en résidence en 2019. Face à l’assistance, Pascal Poyet circulait oralement (sans notes) dans l’espace d’un ou plusieurs sonnets de Shakespeare, de façon très peu linéaire, partant tantôt du cœur tantôt du bord du sonnet, mêlant descriptions et ébauches de traduction, rapprochant différents mots ou groupes de mots dont il matérialisait la place en l’indiquant dans l’air, d’un geste situant le ou les mots en question sur un sonnet virtuel dans l’espace devant lui. Ces textes réunis esquissent une réflexion pratique sur ce que serait circuler, avec les yeux et les mains, dans et entre des poèmes, entre deux langues, et ce qu’implique de décrire cette expérience, – l’enjeu de ces « expositions », et a fortiori du livre qu’elles sont devenues, n’étant pas tant de donner à entendre la « fabrique » d’une traduction, que d’échafauder quelque chose sur l’intraduisible.

S’il faut insister sur la place qu’occupe ce livre dans l’œuvre déjà importante et reconnue de Pascal Poyet (œuvre qui a fait l’objet d’un dossier CCP) c’est que J’ai dormi dans votre réputation s’avère être au croisement de ses traductions de David Antin (3 volumes publiés aux Éditions Héros-Limite) et de son travail de poète proprement dit (Draguer l’évidence et Linéature, chez Éric Pesty Éditeur notamment). Car la modalité de l’exposition orale (travaillée d’abord dans l’intimité d’après plusieurs enregistrements au dictaphone, fixant ainsi un canevas pour l’improvisation en public, qui sera après-coup transcrite dans le livre) rappelle autant les talk pieces de David Antin que la Tentative orale de Francis Ponge  ; tout comme l’exercice de la lecture littérale a d’abord été éprouvée par l’auteur à partir de ses propres écrits (Linéature commente ainsi, mot à mot, une page de Draguer l’évidence).

C’est pourquoi nous affirmerons que ce livre de Pascal Poyet est un « poème », ou peut-être plus précisément, pour utiliser à nouveau le lexique de Francis Ponge, un « proème » – où lecture et écriture sont dans une réciprocité permanente et s’entre-prêtent leur propriété – annonçant ainsi sa traduction des Sonnets de Shakespeare, à paraître dans les années prochaines.