Bulletin n°28

« Monochromophoto » par Françoise Goria

A propos de : Vincent Bonnet, La photographie contre le monochrome. Thèse de doctorat soutenue à Marseille le 1er octobre 2021. 

J’ai lu ce texte lors de la soutenance de thèse de Vincent Bonnet (VB) le 1er octobre 2021 à Marseille. VB m’avait invitée à participer à ce jury et, quelques mois auparavant, j’ai commencé à parcourir sa thèse intitulée : « La photographie contre le monochrome ». Celle-ci est constituée de deux volumes séparés : (cahier d’images) + (texte). Dans le texte qui suit, certains guillemets contiennent des extraits de la thèse et les nombres entre crochets renvoient (mais c’est vain ici) aux pages d’extraction. S’ils restent dans le texte c’est pour y suggérer le zigzag de ma propre lecture opérant par sauts d’un volume à l’autre, d’une page à l’autre, voire, par un effet centrifuge d’un livre de ma bibliothèque à l’autre. Commençons :

Je voudrais tout d’abord dire combien a été stimulante la lecture de cette recherche et la poursuite de la quête qu’elle propose, d’un hypothétique genre monochromophotographique (je forge le terme). À la lecture du titre, j’ai d’abord pensé au foisonnement des images abstraites dans les pratiques photographiques actuelles, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Pour faire comme Vincent Bonnet et détourner utilement un énoncé, on pourrait dire, après Emmanuel Hocquard, qu’il s’agit plutôt ici de pister, non pas « un énoncé sans accent poétique », mais « une photographie sans image photographique, aussi sèche qu’une biscotte sans beurre. »

Je vais partager une dizaine de points critiques qui m’ont donné à penser.

1 – une série étonnante

« Le point de départ de cette recherche sera un corpus chronologique d’œuvres monochromes et photographiques. » [40] On chemine d’une page de l’album d’essais d’Hyppolyte Bayard (1839) jusqu’à une Empty Scene de Suzanne Lafont (2015). L’ensemble, présenté en reproductions et analysé dans les 225 premières pages du texte tente de se constituer en un genre. À peu près tout le corpus est argentique. On va y rencontrer des questions d’optiques, de laboratoire, de propriétés des surfaces sensibles. Les œuvres rassemblées par l’auteur, au fil de leur analyse, apparaissent cependant, de plus en plus, comme un ensemble de singularités, et davantage comme autant de points critiques à l’intérieur du travail de chaque artiste, que comme un genre pouvant être saisi par ses caractéristiques et ses enjeux. Pourtant les pièces de cet ensemble ont en commun d’être des photographies débarrassées de toute image. Chacune d’elles est le point photographique sans image auquel chacun des artistes est arrivé suivant des raisons propres et différentes les unes des autres. Chacun de ces rectangles vides, impassibles, sollicitent en quelque sorte, des causes extérieures. On a envie de focaliser sur chacun d’eux et de ramifier encore l’enquête, au moment précis de leur production dans chaque travail. Chaque pièce semble être une exception dans l’œuvre qui la contient et où elle résonne, parfois avec d’autres monochromes, mais peints. Se dessine alors dans la pratique photographique du XXe siècle élargi cette série étonnante constituée de cases vides imbriquées dans des œuvres par ailleurs foisonnantes.

2 – fonds et figures

Selon Jeff Wall [48] in Monochrome et photojournalisme dans la série Today de On Kawara : « Tous les genres se perpétuent aujourd’hui à travers l’acte qui consiste à mettre quelque chose sur le monochrome ». Selon lui donc (en 1993) le monochrome n’échappe pas à sa condition de fond. La question du fond est amenée, par VB, dès le début avec les diptyques d’Andy Warhol [XII] et les Grau (Gris) de Gerhard Richter [XX] rapportés au fond dans le tableau Betty [XXVI]. « La problématique du fond s’est imposée dès le début de notre recherche… » [257] Le rapport du fond à la figure et le retournement opéré par le monochrome sont étudiés précisément, et c’est sans doute le fond, devenu objet photographique, qui justifie la présence de Liz Deschenes dans le corpus. On sait l’importance du fond dans le travail de Jean-Luc Moulène. James Welling dit avoir commencé sa série des Degrades avec l’observation et la photo (polaroid) d’un fond dans un studio de photographie commerciale. Les scènes vides de Yves Klein et de Suzanne Lafont ne sont-elles pas des fonds ? La pièce que VB réalise, Monospécimen [CLXIV] lui apparaît, elle aussi, comme un fond : « Un fond de teint inquiétant et sensuel » [298]. Le fait est que, dans une exposition de monochromes, on voit les gens devant les œuvres faites fond. Ce devenir fond du monochrome m’a fait penser à une catégorie de monochromes peints qui assument leur nature de fond de manière très photographique. Je pense aux White Paintings de Robert Rauschenberg en 1951, « des aéroports pour les lumières et les particules » dit John Cage, aux 4 panneaux de verre de Richter en 1967, à Ad Reinhardt ou Bernard Venet repeignant leurs monochromes pour effacer les marques d’usages. Se comportant comme des capteurs, ces monochromes rejoignent une sorte de photo, active dans l’espace, qui refuse le mode de la représentation. Ils ont la photo comme objet théorique.

Cliquer ici pour lire dans son intégralité le texte de Françoise Goria

n° 28

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Parutions

 

Aimé Xardel : Aventures dans les Alpes, illustré par Minas Ouchaklian, Harpo &, 2021.

Marie-louise Chapelle : Approximative, « Inédit », rubrique de poésie dirigée par Jean Daive, Quinzaines n°1245, avril-mai 2022.

Étienne de La Boétie : Discours de la servitude volontaire, texte établi par Malcom Smith, accompagné d’études de Miguel Abensour, Arlette Jouanna, Francine Markovits et André Pessel, Pascal Quignard, James C. Scott, Klincksieck « Critique de la politique », septembre 2022.

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